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À l’occasion du Tết Quý Mão 2023, article de Vinh Dao sur le Têt Nguyên Dán ou Fête du Nouvel An Lunaire, entre fête, traditions et croyances.

Le Tết, croyances et superstitions

Si l’arrivée d’une nouvelle année signifie en premier lieu pour l’Européen allégresse et réjouissances, pour le Vietnamien, c’est un moment solennel qu’on accueille avec gravité et recueillement, les réjouissances ne viendront qu’après.

Pendant les instants où l’on se prépare à accueillir la nouvelle année, toute la famille est réunie autour de l’autel des ancêtres. Le sens de la piété filiale est traditionnellement très fort chez le Vietnamien. Face à l’autel, un repas de fête avec tous les mets traditionnels du Tết a été préparé pour accueillir dignement les grands parents et parents décédés qui reviendront au sein du foyer passer le Têt avec leurs descendants. C’est un moment de recueillement plein d’émotions. Les jours de fête terminés, une autre cérémonie devant l’autel aura lieu le troisième ou quatrième jour de l’année avec un repas d’adieu plus modeste pour saluer les ancêtres qui retourneront dans leur monde de l’au-delà.

Selon une vieille croyance, les premiers jours de l’an, de mauvais esprits et autres démons ont l’habitude de venir en bandes chez les vivants semer le désordre et répandre leurs malédictions. C’est pour les empêcher de venir qu’on a la coutume de dresser un mât du Tết (cây nêu) sur la grande place du village et dans la cour de chaque maison. C’est un grand mât de bambou sur lequel on accroche divers objets ; talismans, pétards, flûtes, grelottes… qui, agitées par le vent émettent des bruits censés d’éloigner les diables et les démons. On accroche aussi des carpes, que le Génie du Foyer a l’habitude de chevaucher le 23e jour du dernier mois, pour retourner au Ciel rendre compte au Dieu céleste de ce qui s’est passé dans la maison l’année qui s’achève. On trouve aussi des lanternes, mais là, c’est pour guider les ancêtres qui cherchaient le chemin de retour au foyer de leurs enfants pour les fêtes.

On voit que le mât sert des objectifs divers et contradictoires : chasser les uns, faire revenir les autres… Mais n’oublions pas que le but principal est d’éloigner les mauvais esprits les premiers jours de l’an.

Sur le sol, on a l’habitude aussi de tracer des flèches pointant vers l’Est pour indiquer aux démons la direction qu’ils devraient prendre pour retourner vers d’où ils venaient, c’est-à-dire la mer.

C’est dans ce but aussi que vient la coutume d’allumer les pétards qui fait la joie des enfants les premiers jours de l’an. À minuit, au moment du passage à la nouvelle année, de longues bandes de pétards sont simultanément allumées faisant entendre un joyeux vacarme marquant l’arrivée du nouvel an. Le but est de chasser les démons qui, on en est persuadé, ont horreur du bruit. Et pendant les premiers jours de l’an, on entendait partout, dans les villes et les campagnes, les bruits des pétards.

Depuis des décennies, cette pratique est interdite un peu partout et punie par de fortes amendes en raison de risques d’accident. Mais dans plusieurs localités, même dans certaines villes étrangères à forte immigration asiatique, des entreprises commerciales obtiennent des autorisations spéciales de la municipalité pour perpétuer la tradition. Mais le but maintenant n’est pas tellement de chasser les démons mais plutôt de porter chance pour la nouvelle année.

On espère fermement qu’avec la nouvelle année, tous les malheurs, frustrations, déceptions… de l’année passée vont disparaître, laissant place à une nouvelle étape avec plus de chance, de prospérité et de bonheur. Afin de partir sur de bons pieds, on s’efforce de régler ses dettes avant l’arrivée de la nouvelle année. De leur côté, les créanciers s’acharnent aussi à réclamer leurs dûs à ceux qui leur doivent de l’argent. Mais même avec la meilleure volonté du monde, tout le monde n’a pas le moyen de régler toutes ses dettes avant l’échéance fatale. Dans ces cas, on doit se résigner à se cacher et fuir ses créanciers en attendant des jours meilleurs. Cela n’empêche pas de garder de grands espoirs en l’année nouvelle qu’on doit malgré tout accueillir dignement.

C’est ce qui est arrivé à Nguyễn Công Trứ (1778-1858), célèbre lettré du XIXe siècle, qui, en deux sentences parallèles, raconte comment il accueille allègrement la nouvelle année :

Chiều ba mươi, nợ hỏi tít mù, co cẳng đạp thằng Bần ra cửa

Sáng mồng một, rượu say túy lúy, giơ tay bồng ông Phúc vào nhà.

(Le soir du trentième jour, pourchassé par mes créanciers, je chasse d’un coup de pied la Misère par la porte / Le matin du jour de l’an, imbibé d’alcool, j’ouvre les bras pour porter le Bonheur dans la maison.)

On croit aussi fermement que ses faits et gestes, les premiers jours de l’an, auront une conséquence décisive sur toute l’année à venir. Donc on s’efforce de ne pas se disputer, se mettre en colère et garder son calme et sa bonne humeur en toutes circonstances pendant les fêtes du Nouvel An. On évite aussi de balayer sa maison les trois jours du Tết, car il se peut que la Chance se soit présentée en son domicile en ce début d’année, et en balayant on risque de la chasser malencontreusement de la maison !

La croyance du « premier visiteur » est aussi très importante. On croit fermement que la première personne qui foule de ses pieds sa maison le premier jour de l’année a également une influence faste ou néfaste sur ce qui va arriver tout le reste de l’année. Aussi souhaite-t-on que ce soit cette personne qui connaît la réussite et le bonheur dans la vie plutôt que quelqu’un de malchanceux ou criblé de dettes. Pour éviter toute mauvaise surprise, si le propriétaire de la maison estime que si l’année passée a été assez faste pour lui, il préfère sortir de chez lui avant minuit et revenir afin d’être le premier à fouler le sol de sa maison en cette nouvelle année ! 

On le voit, avant d’être un moment de festivités, le Tết vietnamien est d’abord un évènement solennel empreint de mysticisme, de croyances et de superstitions qui perdurent dans les rites accompagnant sa célébration. La poétesse Hồ Xuân Hương a parfaitement traduit ce contraste entre la gravité mystique de la fin d’une année hantée par la présence maléfique des mauvais esprits et la légèreté, l’optimisme qu’on ressent le matin de la nouvelle année :

Tối ba mươi, khép cánh càn khôn, ních chặt lại, kẻo ma vương đưa quỷ tới

Sáng mồng một, lỏng then tạo hóa, mở toang ra, cho thiếu nữ đón xuân vào. 1

(Le soir du dernier jour, fermons les portes du monde, verrouillons-les bien, pour empêcher les forces maléfiques d’introduire le démon,

Le matin du premier jour, ouvrons les serrures de la nature, qu’elle soit grande ouverte, pour laisser la jeune fille accueillir en elle le printemps.)

En deux vers parfaitement parallèles, où sont opposés mot à mot soir du dernier jour/matin du premier jour, portes du monde/serrures de la nature, empêcher/laisser, introduire/accueillir, forces maléfiques/jeune fille, démon/printemps…, la poétesse a parfaitement fait ressentir l’atmosphère lugubre de la fin de l’année et l’allégresse du nouveau printemps.

Mais les apparences sont trompeuses. Hồ Xuân Hương (1772-1822) est réputée pour ses vers à double sens à connotation érotique. Une deuxième lecture permettra de voir qu’en fait la poétesse, parfaite incarnation de l’esprit libertin du XVIIIè siècle, ne fait qu’évoquer un seul et même acte, sous deux points de vue différents.

Vĩnh Đào 

Décembre 2022

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1 Il n’est pas absolument sûr que l’auteur soit véritablement Hồ Xuân Hương, mais on a l’habitude de lui attribuer certaines créations érotiques d’une incontestable valeur littéraire, de ses contemporains anonymes.

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Des extraits de cet article de Vĩnh Đào figurent dans la Lettre d’information (Newsletter) de janvier 2023 du MCFV.

Peinture de Vũ Cẩn

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